L'histoire de Furiani

C'est au début du Moyen-Age que remonte l'emplacement actuel du village de Furiani. À cette époque là, il figure déjà sur la carte manuscrite d'Enrico Martello (XVe siècle).

Selon l'abbé Rostini ainsi qu'il est relaté dans ses mémoires, les Gênois auraient ramené à Bastia en l'église Saint-Charles le crucifix de l'église de Saint-Erasme. C'est alors qu'un rameau d'olivier aurait poussé dans la main du Christ en signe de paix. L'église actuelle Saint-Jean était alors une chapelle de confrérie.

Le village à la forme concentrique, fortifié depuis la présence pisane (XI-XVe siècles) mais surtout par les Gênois, est une des places fortes appartenant aux seigneurs de Bagnaja. La plupart des maisons actuelles remontent au XVIIIe siècle. Sur le plan terrier dressé sous Louis XV, le village compte 21 maisons. L'église principale était l'église paroissiale Saint-Erasme. Elle fut démolie par les Gênois au XVIIIe siècle.

Quelques faits importants

Furiani, de par sa position a longtemps été la proie d’envahisseurs. Son histoire événementielle sera d’une rare complexité. En voici quelques faits importants :

1420

Vincentello d'Istria

Les troupes de Vincentello d’Istria étrillent, sous les murs de Furiani, le contingent gênois venu contester au roi d’Aragon la souveraineté de l’île. A cette occasion, la poudre parlera pour la première fois en Corse.

1729

Giaffery

Giaffery y défait les Gênois, ouvrant la guerre de 40 ans.
Pascal Paoli général de la Nation Corse, séjournera à plusieurs reprises à Furiani, d’où il datera plus de 30 correspondances officielles.
Il y sera assiégé (1763) par son rival, Alérius Matra, et les contingentsgênois et y bâtira l’actuelle tour carrée (la seule en Corse avec celle de Nonza) que surmonte le clocheton typique ajouté par la suite.
Le dernier siège de Furiani sera conduit six ans plus tard, par les Français du marquis d’Arcambal.
Furiani est le village du député à la Convention, Jean-Baptiste Bozi qui y voit le jour le 7 mars

1746

Louis XVI

Il votera le bannissement de Louis XVI et sera jugé criminel du district d’Oletta.

1763

Le siège de Furiani

Du 5 juin au 19 juillet 1763 : le siège de Furiani est la dernière opération militaire menée en Corse par la République. Il dura 45 jours.
Ce petit village était très important au point de vue stratégique, car il ouvrait les portes du Nebbio: par la serra d’Ornelli, vers Oletta, Patrimonio, Olmeta di Tuda; par le col de Teghime vers Saint Florent.
Comme l’écrivait très justement, le 30 avril 1759, Mr d’Angelis, de la possession de Furiani dépend l’existence de la capitale et de Saint Florent. Aussi avait-il déjà été attaqué cinq fois au cours du XVIIIe siècle, toujours dans le dessein de relâcher l’étreinte autour de Bastia.

Furiani, une place fortifiée

Furiani était une petite place fortifiée : une enceinte crénelée, une tour et, en position avancée, une série de sept fortins sur une ligne qui va de l’étang de Biguglia à Oletta. Pour la défense, quelques soldats réguliers et les 80 hommes du village, exemptés d’impôts et de marches, à charge pour eux de veiller à leur sécurité.
Les Génois mirent en œuvre des forces importantes se montant à plus d’un millier d’hommes : troupes régulières commandées par le colonel Bustoro, un bastiais d’origine italienne, les majors Speroni et Bianchi; compagnies corses commandées par Antonuccio Matra, promu au grade de lieutenant-colonel.
Le commandant en chef était le maréchal de camp Alerio Francesco Matra, en relation constante avec le commissaire général Doria. Matra tint un journal du siège et Doria rédigea un long rapport, point toujours favorable à Matra et à son entourage.
Ces deux documents ont été étudiés par François Piazza aux travaux duquel nous empruntons beaucoup. La correspondance de Paoli présente les opérations vues de Furiani.
Les assaillants ne parvinrent jamais à encercler la place qui conserva toujours sa liberté de ravitaillement en munitions et en vivres.

La bataille fut essentiellement une bataille d’artillerie : les Génois creusèrent des tranchées, installèrent des batteries. Pour augmenter la visibilité et se défaire des tirailleurs, ils rasèrent la magnifique oliveraie de la colline de la Meruga qui prit alors l’aspect pelé qu’elle a conservé aujourd’hui.
Du côté corse, les assiégés reçurent des renforts, pas autant qu’ils l’auraient souhaité, car la saison avait été bien choisie par les assaillants: les appels à la levée en masse trouvèrent peu d’écho auprès des populations occupées à la moisson. L’essentiel de la garnison fut fourni par la truppapagata, 150 hommes environ; mais Clément Paoli se tenait à Biguglia avec un contingent et Barbaggi du côté Nord. Peu à peu arrivèrent les canons venant du Cap. Les assiégés, travaillant sans arrêt, construisirent tout un système autour de la place; ils empoisonnèrent au patello le ruisseau de Saint Pancrace et, quand le libeccio s’y prêtait, allumèrent des incendies en direction du camp ennemi.
Pascal Paoli vint à Furiani à plusieurs reprises: des espions de Stazzona d’Orezza, parents du pievan Consalvi, qui circulaient de l’un à l’autre camp, le décrivent installé dans une pièce voûtée, renforcée par des traverses de bois, de la maison Baldassari. Il s’y trouvait le jour de l’assaut final.
Le 14 juillet, en effet, Matra estime que les conditions favorables sont réunies pour en finir. Avec une espèce de délectation sinistre, il énumère les ravages.
Notre artillerie fait un travail remarquable… Il est évident pour tout le monde que Furiani n’est rien d’autre qu’un agglomérat de tas de pierres et qu’il n’y a plus une seule maison qui soit habitable; toutes sont délabrées au dernier point.
L’abattage important des oliviers, pratiqué par les nôtres leur cause vraiment un tort considérable. La colline de la Meruga n’est certes plus aussi verte qu’avant, tous nos postes sont en terrain dégagé et non plus parmi les arbres. L’enclos relativement étendu de Capanella, tout le site de la batterie de Saint Dominique, sont polis comme un œuf; il ne semble pas qu’il y ait eu là des arbres. Il en est de même pour le parcours des routes de nos postes. Leurs moissons sont complètement perdues à cause des tirs.
Quelques petites maisons qu’ils avaient dans les endroits où nous arrivons ont été incendiées. En somme, là où nous avons mis la main, nous nous sommes débrouillés pour tout leur détruire sans pitié. (Traduction François Piazza)

D’ailleurs c’est le moment où jamais. La saison s’avance, la moisson touche à sa fin et les nationaux commencent à affluer autour de Furiani. La malaria fait ses ravages habituels (60 malades sont soignés à Bastia) et elle n’a pas épargné le commissaire général.
Les désertions se sont multipliées (66 déserteurs des troupes régulière et quelques corses); enfin les canons ont tant tiré que les munitions manquent, et les assiégés renforcent de jour en jour leurs fortifications extérieures.
Décidé pour le 16, l’assaut est remis à cause d’un vent violent et de la crainte du feu. Un ultime conseil de guerre réunit les colonels et les majors qui font montre d’un enthousiasme limité.
Le 18, dans la matinée, à l’heure où l’on présume que les défenseurs se reposent après une nuit de veille, 940 hommes (590 réguliers, 100 hommes des compagnies franches et 250 corses) attaquent Furiani. C’est l’échec. Les troupes de Matra, après une heure de fusillade, durent battre en retraite, laissant sur le terrain 68 morts (63 réguliers dont 6 officiers, 5 corses dont le capitaine Angeluccio Colombani), 162 blessés furent dirigés sur Bastia où il fallut ouvrir un second hôpital à l’oratoire de la Miséricorde.
Dans cette action, les nationaux perdirent trois hommes et eurent quelques blessés légers parmi lesquels Achille Murati, Gian Carlo Saliceti et NicodemoPasqualini.
Dans la nuit du 19, les Génois retirèrent leur artillerie et le lendemain ils rentrèrent à Bastia.
(Tiré du Mémorial des Corses)

Furiani, une sorte de poumon de Bastia

La connaissance de l’histoire de la Corse au 18ème siècle avance à grands pas. La découverte d’archives et l’accès à des archives privées ne sont pas étrangers à ces progrès.
Pour un village comme le nôtre, il est difficile, hors l’étude des ceppi du notaire Fornelli au 18ème siècle, de trouver une documentation sur le village, beaucoup d’archives de familles ayant disparu.
La situation de Furiani, immédiatement en marge de Bastia n’est pas étrangère à cet oubli de l’histoire.
Néanmoins, la seconde moitié du 18ème siècle met Furiani au premier plan de l’histoire de Corse, car c’est le théâtre des Derniers combats de la guerre d’indépendance. A ce titre, Furiani sert de résidence à Paoli, qui y noue des amitiés solides, comme en témoigne sa correspondance.

A l’époque, Furiani, est une sorte de poumon de Bastia; en effet, c’est de Furiani que Bastia, en pleine expansion, importe de la chaux, des briques pour la construction, du vin et des légumes; on peut remarquer que de nos jours la situation ne s’est pas tellement modifiée, puisque c’est à Furiani que se trouve la plupart des industries qui alimentent Bastia.

Furiani, la résidence de grandes familles
Quoi qu’il en soit, dans les années 1760, Furiani est la résidence de quelques grandes familles, politiquement alliées à Paoli, comme les Marengo ou les Bozio, ou familialement alliées à lui, comme les Baldassari. Toutes ces familles sont aujourd’hui éteintes de nom, les descendants étant des collatéraux.

Le procès dont nous allons parler met en scène ces trois familles patriciennes. Bien au-delà de l’anecdote, il apporte un témoignage décisif sur la mentalité des personnes qui ont été, et ce n’est pas un hasard, au premier plan de la Révolution de Corse, auprès de Paoli, et ensuite au premier plan de la Révolution Française. Ils sont les représentants privilégiés d’une caste qui n’avait cessé depuis le 17e siècle, d’asseoir sa puissance matérielle, basée sur la propriété foncière, les revenus ecclésiastiques et les charges, avant de la transformer en puissance politique par le biais de la guerre d’indépendance puis de la Révolution, comme si les deux épisodes étaient dans le droit fil l’un de l’autre, alors que la continuité entre les deux tient surtout au rôle de moteur de ces notables.

Le procès Marengo-Battesti met donc aux prises trois familles de Furiani, et s’avère très révélateur d’un état d’esprit. Ces trois familles sont les Marengo, les Baldassari et les Bozio. 

Les Marengo étaient arrivés en Corse en 1656, en la personne d’un architecte qui avait travaillé aux fortifications de La Spezia. Ayant réalisé des alliances considérables à Oletta, Furiani et Bastia, ils prennent part à la guerre d’indépendance aux côtés de Paoli, contre Gênes, plusieurs d’entre eux perdent la vie dans cette lutte. Entre autres, Antoine Marengo est décapité dans la cour du Palazetto Criminale à Gênes, et son tout jeune fils, Jean-Baptiste meurt au siège de Furiani en 1763. Leur maison qui est aujourd’hui la maison Fiorelli, Molimar, Rioni subit d’importants dommages lors de ce siège. Subsistent seuls deux enfants Marengo: Jean-François, Officier du Royal Corse au service de la France et Pauline Félicité dont nous allons avoir à reparler.

La famille Baldassari s’éteint, elle, le 17 novembre 1764 à minuit, à la mort d’Ignace Dominique, dernier du nom. Pascal Paoli écrit à ce propos que « Le Chevalier Baldassari, homme zélé et fort civil » « …ne laisse personne héritier de son nom ni de ses vertus ». Ses biens passent alors à ses Cousins Antoni, d’Ersa, qui s’installent à Furiani en la personne d’André Antoni, père de trois enfants.

Le troisième personnage, Jean-Baptiste Bozio, plus connu des historiens, est d’abord avocat, puis juge dans l’Ampugnani, et ensuite député de la Législative et de la Convention. Cet avocat médiocre, qui votera le bannissement du Roi Louis XVI, n’est pas d’une famille aussi considérable que les précédentes. Mais, il est le neveu de l’abbé Bozio, ami de Paoli, qui perçoit des revenus ecclésiastiques importants de Cinarca, Pietrapola et Bozio. Notable caractéristique, il va essayer, semblable en cela au Conventionnel Saliceti, mais avec moins d’envergure, et de succès, de se constituer une fortune. Le moyen envisagé étant le mariage, commence alors l’éternelle histoire du marché des dupes, et, s’il ne s’agissait de personnages de premier plan, la grande histoire tournerait à la comédie.

Entre mariage, héritage et procés !

En effet Pauline Félicité Marengo, dont la beauté était, dit-on, extraordinaire, épouse en 1742 François Mathieu Limperani de la Penta, l’un des hommes les plus riches de Corse. Ce dernier, après un an de mariage lui lègue l’usufruit de tous les biens des Limperani et lui restitue sa dot qui était de 11000 livres. Au bout de huit ans, la famille Limperani rachète cet usufruit pour 8000 livres.

Veuve en 1746, Pauline Félicité épouse le Chevalier en 1764, jusqu’en 1767, date à laquelle elle transige avec les Antoni qui rachètent l’usufruit pour 21000 livres. (Le Roi de France achète à Gênes la Corse pour 200 000 livres, ce qui en dit long sur l’importance de ces deux héritages).

A l’âge de 54 ans, Pauline Félicité, épouse Jean-Baptiste Bozio, alors âgés de 34 ans. Entre temps elle a fait reconstruire la maison Marengo, « bâti les terrasses des deux jardins qui sont au dessous de cette maison », elle a fait construire « la maison sur le terrain d’Orticcione, avec les pierres d’une carrière qui s’y trouve, et les bois des propriétés de la Ripalta et de Micheletto » (c’est-à-dire l’actuelle maison Mattei)

Ce troisième mariage brouille Pascal Paoli avec les Bozio et avec Pauline Félicité. Il écrit en effet le 19 octobre 1767 – la lettre est interdite – « orabisognaconsidérarla come se non esistesse più ». Il faut savoir qu’en retournant vivre chez les Marengo, Pauline Félicité dépendait sa dot chez eux, le mariage les prive donc d’un revenu important.

Bozio disent les écrits de l’époque au sujet de ce mariage « n’était ni le plus rusé ni la dupe de la société conjugale, la partie était parfaitement égale. » Chacun des deux époux va essayer de tirer parti de ce mariage au mieux de ses intérêt; d’autant que Bozio passe presque cinq ans à Paris, loin de son épouse, que le fait de ne savoir ni lire, ni écrire n’empêche pas de faire des affaires.

Bozio va essayer de devenir l’héritier de sa femme en lui faisant faire quatre testaments en sa faveur; en 1799, 1800, 1802 et 1804. A chaque testament elle réduit son legs, jusqu’au moment où, révoquent toutes dispositions antérieures, elle lègue tous ses biens à ses neveux Marengo.

Bozio, devenu veuf, frustré de cet héritage, et qui n’est pas parvenu à obtenir de sa femme qu’elle aille jusqu’au bout dans le procès qu’il l’a persuadé de faire aux Antoni, épouse en deuxième noce Laure Boccheciampe d’Oletta; fille et sœur d’avocat, celle-ci devient également femme d’avocat quand, à la mort de Bozio, elle épouse un avocat des plus ternes : Battesti.

On va alors assister à un procès inouï: Laure Battesti réclamant les biens des maris successifs de la première épouse de son premier mari! Elle entendait même profiter de la clause contenue dans l’acte dotal passé entre Pauline Félicité et Mathieu Limperani, 25 ans avant le troisième mariage. L’appétit de Bozio avait trouvé un maître.

En effet, une ancienne règle de droit voulait qu’à la dissolution d’un mariage, on pût restituer le montant de la dot sans restituer les immeubles qu’elle avait servi à acheter. La dame Laure Battesti refusait de restituer aux héritiers Marengo la dot de leur tante sous la forme qu’elle avait au départ, en raison de cette règle.

Les consorts Marengo font remarquer qu’entre temps il y a eu le Code Civil, auquel Bozio a participé, et surtout qu’à l’époque des faits « on parlait et pensait différemment en Corse lors de la célébration de l’acte dont il s’agit. » (C’est-à-dire le contrat de Mariage Marengo – Limperani).

Mais surtout, Bozio, tout à l’arrière-pensée de capter l’héritage des Marengo, et profitant des liens que son mariage avait établis, avait racheté les créances de la dot de Brigitte Gentile, épouse de Jean-François Marengo, frère de Pauline Félicité, sur la banque de Saint-Georges.

En effet, la noble famille Gentile avait créé un fond destiné à doter les filles pauvres de la famille Gentile administré par la banque de Saint-Georges. Cet antique usage, donnait à Brigitte Gentile une dot de 11000 livres de Gênes. En rachetant cette créance, Bozio s’assurait des droits sur le patrimoine Marengo.

Sa seconde épouse Laure Battesti va exiger le remboursement de cette dot et tenter de faire casser le testament de Pauline Félicité, sous prétexte de nullité, car l’un des témoins n’est pas corse mais « lucchese », et que surtout, dans ce testament Pauline Félicité recommande son âme à la Vierge en citant les termes de l’office de la vierge en latin qu’elle ne connaît pas. Et surtout, elle transforme le vers « tu nos ab hosteprotege » en « tu me ab hosteprotege », ce qui peut être une injure envers Bozio avec qui elle est fâchée sur la fin de sa vie.

Le procès dure, et dure longtemps. En 1806 les Marengo ont gagné contre Bozio. En 1821 ils gagnent contre sa veuve, Laure Battesti, à qui les trois avocats conseils de son entourage, n’avaient pas porté bonheur.

Chronique relatée par François Piazza